Paris Fashion Week / L'Homme Kris Van Assche - P/E 2011


Kris Van Assche invente Lawrence Darkrabie.

Un mec cool
qui protège son corps des rayons du soleil à base de new-djellaba et de sarouel bitume.
A l'exception du cuir, le noir se fait mat voire transparent, et ceinture la silhouette d'un noeud taille basse entre le kimono et le tablier de cuistot.



Le t-shirt loose et le pantalon toujours retroussé se laissent tutoriser par une veste graphique deçi, et un trench oversized delà, chaussés de boots noires ou de lanières de cuir.



Sur une collection en niveaux de gris et looks monochromes, le contraste se pointe par touches : le coude ou le nombril marquent le passage brutal du noir au blanc, tandis que le noir tâche de pétrole un parterre mastic.



Une proposition à la décontraction sophistiquée, comme la pixellisation 3D d'une esquisse de Sempé nonchalemment couchée sur un tapis-page blanche théâtralement déroulé par deux hommes en noir... Comme la traîne d'une mariée scotchée aux pieds d'une Florence Muller vêtue de rose shocking.

Paris / Monnaie, monnaie, monnaie...

Le "Fashion Magazine", projet photo de l'agence Magnum, matérialise chaque année le regard d'un photographe sous forme d'une publication mêlant mode et reportage.
Après Martin Parr, Bruce Gilden, Alec Soth et Lise Sarfati, c'est à Paolo Pellegrin qu'on confie le bébé, reconnu sous le nom de «Storm» (non, rien à voir avec l'agence de mannequins). Le p'tit dernier viendra ua monde en septembre prochain en un tirage limité à 8000 exemplaires pour un prix avoisinant une vingtaine d'euros (sponsorisé entre autre par Ruinart, et Paul Smith et Greenpeace) et présentés à un public d'initiés ce mardi 29 juin 2010à la Monnaie de Paris.



Un peu moins célèbre que certains de ses camarades de Magnum (comme Martin Parr), Pellegrin l'italien de 46 ans demeure un "maître absolu du noir et blanc, un reporter, un témoin, comme les Pères Fondateurs (de Magnum), mais aussi un très grand artiste".
Avant d'être intégré à l'agence en 2005, il remporte déjà la reconnaissance du milieu avec, dix ans plus tôt, un reportage sur le sida et son premier World Press, suivi de 8 autres pour son oeuvre de photo-reporter au coeur d'une "humanité en crise".

A l'image de son travail sur la tension et la tourmente "comme l'électricité dans les minutes qui précèdent l'orage", l'édition 2010 "mêle, au fil des pages, des vues aériennes saisissantes de New York, Dubaï; Hong-Kong, Tokyo, Shanghai, des paysages étonnant de Sibérie, Islande, des séries de mode non conventionnelle et des portraits de personnalités engagées et visionnaires (parmi lesquelles Stella McCartney, Vivienne Westwood, Alejandro Jodorowsky, Norman Foster et le designer Bruce Mau)."



En filigranne de ces belles images, un engagement pour l'écologie et le développement durable, qui pourrait expliquer la quasi-absence de supports imprimés pour le vernissage, remplacés par une projection vidéo toute en simplicité dans une des salles du Palais (réalisée par Christophe Renard, DA travaillant entre autres pour le magazine de mode Stiletto).



Sur l'objet en lui-même, noir, mat, sobre et tout en finesse,on aura pu entrendre des regrets sur une omniprésence de doubles-pages coupant parfois en deux le sujet central de l'image, et quelques séries pub discutables (de Margiela à Greenpeace en passant par Ruinart, sponsor très apprécié de la soirée...), mais dans l'ensemble une grande admiration du public ultra-vip pour ce "travail esthétique sous un angle journalistique engagé".



La soirée, organisée en grande pompe à la Monnaie de Paris, a arrosé au champagne Ruinart une population de photographe et "journaleux"...



... Mais aussi de "modeux"...



.. Ainsi que quelques people comme Sarah Marshall (petite fille de Michèle Morgan et égérie de Jitrois) ou plus inattendu : Marco Prince (Juré de la Nouvelle Star...).



Un événement réussi, où quelques exemplaires du magazine ont été distribués à certains chanceux, dont voici quelques photos prises sur le vif :










Paris / Cacharel, la sale histoire d'une boutique en propre



Jeudi 24 juin, rue d'Alésia, 14 ème arrondissement de Paris. Sous un soleil suintant, la future-ex rue des stocks sonne à nouveau le glas de La Crise, Jack l'éventreur de la création.

En guise de merchandising, des affiches sang cachetées "liquidation totale" aux allures de drapeaux de manif, abritent une ruche de clientes farfouillant dans des bacs -70%.

En cause ? Le refus - malgré des problèmes financiers de longue date - d'ouvrir le capital de la société, laquelle s'était pourtant préparée à une perte de 9 millions d’euros (soit presque la moitié de leur CA 2009), dont 6 millions imputables au plan social de 2010 (soit le licenciement de 2/3 du personnel) mais espérait générer suffisamment de bénéfices en 2010 pour survivre.
Conséquences ? Le licenciement de la totalité du personnel de vente, l'arrêt de la production au profit d'un système de licences, la fermeture totale du parc de distribution en propre et la mort d'une institution de la mode française.
Comment en est-on arrivé là ?


Flash-back...

60' & 70' : Happy days et flower power

1959 : Monsieur Jean Bousquet créé la marque Cacharel à Nîmes, puis s'installe à Paris en 62.
Un an plus tard, dans une chambre de bonne du Marais, il détourne le crêpon lingerie pour en faire un chemisier. Noué sous la poitrine de BB, il s'allie à la jupe-culotte, au pull shetland et à la robe chasuble.



Décennie 70, la marque adopte la stratégie qui deviendra son ADN : le Liberty pour la mode, et L'Oréal pour le parfum (depuis Anaïs Anaïs en 78, le Parfum devient le garant de la prospérité de la marque). En pleine révolution sexuelle&peace&love, l'esprit bucolique de Cacharel marquera toute une génération de jeunes filles en fleurs. Petite révolution qui ne tardera pas à faire la couverture de Elle en 66, puis à inspirer Sarah Moon et Robert Delpire en signature visuelle.
Le bébé, l'enfant et l'homme entrent dans la famille Cacharel, dont les collections sont conçues dans l'usine de Nîmes, terre originelle.



80 & 90' : "Ma petite entreprise..." (vous connaissez la suite)

Décennies 80 et 90, Jean Bousquet entre en politique, laissant la marque se reposer sur ses acquis et s'éloigner insidieusement de son identité créative. La fin du siècle sonnant l'arrêt de ses mandats, il retourne au moulin pour tenter de rassoir son entreprise... Peut-être un peu trop tard ?

Le bug de l'an 2000

Le nouveau millénaire passera le balais chorégraphique des chaises-musicales à la sauce D.A : succédant à Emmanuelle Kahn et Corinne Sarrut, l'an 2000 voit arriver le duo Suzanne Clements et Inacio Ribeiro, puis Estrella Archs en 2007, précédant le pas à Wakako Kishimoto et Mark Eley, et enfin Cédric Charlier.
Décennie-ending, l'ouverture d'un nouveau flagship rue du Faubourg Saint-Honoré avec l'architecte Jean-Michel Wilmotte s'achèvera sur une fermeture en speed-dating.



"Close to me" ?

Tout en divisant le réseau de distribution par 5, la marque se raccroche à ce qui a fait sa gloire et "fête" en 2009 son cinquantenaire avec une collection Liberty en série limitée hyper-buzzée qui a enfanté le baby-boom bucolique 2010 que l'on connaît.



Malgré le lancement de Scarlett (sur, au passage, un joli spot de Mademoiselle Noï) allié à une tentative de cohésion Mode/Parfum (via l'édition d'un consumer-mag distribué en parfumerie et la création d'un site internet inspiré de Miss Dior Chérie version corail), ce repositionnement - même s'il a remporté l'adhésion de modasses en quête de séries limitées - n'aura pas réussi à sauver la marque sur le plan des tableaux Excel.



Le 24 juillet 2010, suite à plusieurs années d'agonie, Cacharel procèdera à la fermeture de l'ensemble de son réseau de boutiques en propre, aux allures avancées de peau de chagrin. La branche mode de la marque (production et distribution) fonctionnera désormais sur le système de licences et de e-commerce, laissant L'Oréal suivre le sillage de son épopée mode tel un parfum de nostalgie.

Officiellement, cette stratégie viserait à la stabilisation financière de l'entreprise dans l'espoir de rouvrir un réseau de boutiques en propre dans les prochaines années. Officieusement, on peut affirmer que le personnel "futur chômeur" n'a plus envie d'y croire. On pourrait même dire qu'il a les dents qui grincent face à une stratégie en passe de s'aligner sur du pierrecardinisme.

Confession d'essayage

Petit tour dans les cabines d'essayages de Cacharel stock, le bon plan bien gardé des coquettes adeptes de rétro issues des quartiers bobo de la rive gauche. J'ai pu y prendre quelques photos, invitée par une équipe de vente émue à m'y dépêcher discrètement, car soucieuse de l'arrivée imminente du "grand patron".



Ici, on pouvait trouver l'ensemble des collections Cacharel pour l'Homme, la Femme et l'Enfant à des prix de destockage, ainsi que les prototypes de la collection en cours à -50% qui, je l'avoue, avaient eu le temps de se faire des copines au sein de mon dressing personnel.



Quand on les interroge sur leur consommation, les clientes s'avèrent un peu floues. Difficile de savoir si elles achètent chez Cacharel stock par amour pour la marque ou par restriction budgétaire. La vérité se trouve probablement entre les deux, l'équation star demeurant : "j'habite le quartier" + "j'aime bien le style rétro" + "Pour 100 euros je préfère acheter une grande marque déstockée qu'un vêtement neuf du sentier".



"Neuf" ? En voilà un adjectif déroutant ! Comme si elles considéraient les produits comme de la fripe de dépôt-vente.
Le problème est donc là : Cacharel vivait sur l'étiquette du passé, étant plus achetée pour son caractère vintage que pour son crédit sur le territoire de la mode actuelle, en dépit de la reconnaissance de certaines pour le charme un peu désuet de la marque (comme cette prof de fac affirmant que "pour avoir l'idée d'entrer ici, il faut aimer le rétro").



Problème de style ? Problème de cible... Une clientèle originelle qui a vielli et se sent "singée" en chemise à fleurettes. Une cible junior qui préfère se "signer" d'un style rock - soit ex-fan-des-sixties-petites-baby-dolls traumatisées de la broderie anglaise trop "coinços", soit jeune hot-lita préfèrant ressembler à une pub Comptoir des Cot' qu'à une icône d'Hamilton.
Trop jeune et "serré" pour les femmes matûres, trop "môman" pour les juju, le style peine à trouver son public.



Et selon une vendeuse maison de longue date, le positionnement prix y est pour beaucoup : "il est mignon ce petit gilet jaune, mais franchement, qui a envie de payer 200 euros pour du made in China ?", annonce-t-elle blessée et pas tendre, comme une cousine deshéritée de ses blasons crâquelés. Une preuve que le patrimoine de marque, si on ne l'entretient pas - ou trop tard - ne suffit plus à une clientèle hyper-éduquée dont le regard-code barre ne laisse échapper aucun détail.

Même si la plupart des clientes ressortiront avec un sac plein de belles robes bradées, elles déploreront surtout la fermeture de leur fournisseur de bons plans look plus que d'une marque de mode en tant que telle...



... à l'exception de ce client qui, du haut de ses 1m90 de virilité, s'avoue triste de constater qu'il n'aura plus d'alternative intermédiaire entre Kenzo et Delaveine pour trouver ses costumes.

Mon petit reportage s'achève sur un passage en caisse au goût amer : des poches en plastique ont majoritairement remplacé les sacs en carton et anses gros-grain, et le livre d'or a déserté la console. On tape du chiffre comme une course au "tout doit disparaître", les yeux légèrement dans le vague et pour certaines vers l'horizon d'un chômage imminent.

Un sentiment de gâchis général pour une marque qui n'aura pas eu le temps de vivre en réel la théorie de ses reco marketing.

http://www.cacharel.fr/

Paris / The Chouette Shop



Le coin...

Dans une rue de Paname, errant au bord de l'eau... Après une Guinness au Cork & Cavan (le seul pub des bords du canal StMartin tenu par un Kevin très... Irlandais), je reçois un étrange message de mon amie Em.
Cette expat' fraîchement diplômée de l'Université des Arts de Londres (et comptant à son actif un stage au studio de feu A.McQueen, ndlr), me propose de la rejoindre pour boire un café-bobine dans un lieu inconnu à mon bataillon, baptisé "The SweatShop".
Pas bégueule, je profite de cette occasion pour tenter de rétablir la cacophonie franco-française autour du mot "sweat" : non, sweat ne se prononce pas sweet ("Hey t'aurais pô vu mon sweeeeet-shirt m'man ??"), mais bien swèèète comme "chouette" sans le ch.
Ne sachant pas trop à quoi m'attendre (une boutique de sportswear en molleton gratté ? Un centre d'activation des glandes sudoripares ?), je décide donc de lui faire confiance, et me rends au lieu-dit. Devant la façade blanche comme du sucre glace, une blonde vénitienne tirant sur le roux Westwood clopine sa Marlboro sur son petit banc. Hésitant entre le Français et l'Anglais, elle me lance un bonjour énergique et me guide vers l'entrée.

Le lieu...



Je me retrouve au centre d'une petite pièce de 30 m2 environ, entre le décor de sitcom US et le micro-atelier de mamie, peuplé d'une grosse table carrée recouverte de papiers et entourée de plusieurs ilôts de Singer.
Au mur, des bobines de fils, laines et galons en tous genres, empilés au petit bonheur la chance sur un mobilier chiné à droite et à gauche. Investissant les lieux, ma chère Em' détricote une paire de gants tout en répondant aux questions d'une journaliste britannique très intéressée par le concept.
C'est que l'endroit, si cosy et mimi soit-il, est le fruit d'une réflexion business et surtout d'une intelligente association. Car si le duo incarne souvent l'équation de la réussite dans le domaine de l'entrepreneuriat, The SweatShop ne déroge pas à la règle. Rewind.

Le concept...

Il y a quelques mois, Martena Duss, trentenaire maquilleuse professionnelle pour la Mode et le spectacle, dîne avec ses parents dans le quartier du Canal. La même soirée, elle passe devant le local commercial "à louer" du 13 rue Lucien Sampaix, et déclare avec force et spontanéité : "je vais lancer ma boîte". A ce stade du projet, pas de capital, pas de local, pas d'associé ni de business plan. Juste une envie et une lieu inspirationnel dans un quartier un peu "comme à la maison". Parceque le monde de la Mode est un small small world et que Martena est une femme décidée, elle parle du projet à Sissi Holleis, créatrice d'une marque de vêtements éponyme rencontrée au cours d'une soirée.
Ni une ni deux, le projet créé l'adhésion, et le duo se forme pour investir le local jusqu'alors exploité par moult concepts de la vente à la restauration. Et le système D y a été pour beaucoup : décor bricolé de brics et de brocs, machine fournies gratuitement par Singer... L'adresse devient, au mois de mars 2010, le premier "Café-Couture" de la place de Paris, très rapidement relayé par la presse française (Le Monde, Madame Figaro, Mylittleparis...) et européenne.



Pour le deux fondatrices, qui y proposent la location de machines à l'heure et bon nombre d'ateliers, les débuts rendent le cumul des mandats un peu difficile, les forçant à jongler entre leurs activités professionelles originelles et la gestion de l'entreprise.
Mais "la boîte" tient le coup, à l'aide de bénévolat et de partenariats intelligents, comme l'atelier pour enfants, le cours de patchwork "patch-up your english", ou encore les workshop de créateurs invités tous les deux mois. Dédié à la créativité et à la débrouillardise minute, le Sweat Shop commence à conquérir une clientèle locale désireuse de travaux manuels (le tricot étant depuis longtemps à la mode et ici élargi par des cours de couture) ou simplement économe d'ourlets made in retoucherie.
Pour dédramatiser l'enjeu de la quenouille, il est aussi possible de simplement boire son café accompagné d'un cupcake ou d'une tarte bio dans une ambiance Central Perk girly, histoire de se familiariser entre copines avec l'ambiance très "bobranchouille"... Intimidant parfois les passants aux regards curieux.

Vous l'aurez compris, le concept exporté des pays anglosaxons ne ménage pas ses efforts pour établir un business modèle viable et créatif, au coeur de la tendance "custhome", à qui l'on souhaite longue vie.


Info :
The Sweat Shop
13 rue Lucien Sampaix - Paris 10e
09 52 85 47 41 / www.sweatshopparis.com
Horaires :
mar.-ven. 13h00 - 21h00
sam.-dim. 13h00 - 19h00

Sissi Holleis
3, rue de Nemours - Paris 11e
01 43 38 10 71

Londres / British Insurance Designs of the Year



Sous un crachin alternatif, les parapluies "underground" à stilletos vernis de Tower Bridge empruntent les docks d'un pas décidé.
Normal, on est samedi, et le Musée du Design de Londres met la Mode à l'honneur. Entre expos sur le "produit durable" et l'architecture en Afrique, la troisième édition des Brit Insurance Designs Awards, rebaptisés "les Oscars du Design", s'impose comme un cabinet de curiosités pas si barré et indéniablement ancré dans le quotidien.
Récompensant une sélection internationale d'avant-garde, l'exposition qui a choisi cette année le "Folding Plug" de Min-Kyu Choi (design de prise mâle hyper-ergonomique), récompense également des créations liés à l'aménagement, à l'utilitaire, au transport et à la mode.

Au delà de la question du développement durable et du commerce équitable - thèmes très présents au coeur de cette exposition - on retrouve aussi la question de l'accès à la mobilité avec la Worldmade Sport Wheelchair, chaise roulante ergonomique et low cost (£150) dédiée à la performance sportive.



Une wheelchair qui pourrait faire écho, à quelque pas de là, à Alexander McQueen dont le dernier défilé est diffusé sur écrans plats dans un silence religieux.



En 1999, il fut le premier designer à faire défiler Aimée Mullins - mannequin foulant le catwalk sur deux prothèses de jambes, détentrice de plusieurs médailles d'athlétisme et depuis élue parmi les « 50 plus belles femmes au monde » par le magazine People.



Flottant comme un spectre et presque plus vraie que nature, une affiche de la Grande robe noire de Madame Vionnet(exposée au Musée des Arts Décoratifs de Paris) trônait en tant qu'icône de la meilleure rétrospective de l'année, non loin de la robe à Domino de Beth Ditto sur mannequin +size accompagnée d'une vidéo et de sa mini Barbie.



Au coeur du débat sur le rôle d'"accompagnateur social" de la mode - paraîssant stagner depuis la quasi égalité des sexes dans le monde occidental - force est de constater que oui, les corps qui sortent de la norme de validité ou de taille peuvent inspirer la création en tant que telle, et ne pas se contenter d'une copie réajustée en XL de la mode "faite pour les minces" (je ne te jette pas la pierre, Pierre). Preuve en est avec cette collection créée par la chanteuse de The Gossip pour la marque Evans, commençant à la taille 44.



En bref, cette exposition s'impose comme un alliage détonnant et intelligent, à l'image du "joyeux bordel" de l'architecture Londonienne mêlant l'ancien à l'ultra moderne en toute harmonie, et à mille lieues de nos "chartes urbaines" à la française.

Info :
Jusqu'au 31 Octobre 2010
http://designmuseum.org/exhibitions/2010/brit-insurance-designs-of-the-year
designsoftheyear.com blog.

Istanbul / Des visages, des figures



Bienvenue sur ce blog, né d'une épopée Mode à Istanbul.

Huuuuuu(UE) !

La seule ville au monde à cheval sur deux continents - l'Europe et l'Asie - ne fait pas débat qu'au sujet de son entrée potentielle au sein de l'Union Européenne.
Au carrefour des cultures et des styles, celle qu'on pourrait appeler l'"autre capitale" de la Turquie ne peut nier son goût prononcé (et sa soumission librement consentie ?) pour les contrastes.
En effet, au détour du très popu quartier de Taksim ou du très chic district d'Osmanbey, il n'est pas rare de croiser des enseignes aux noms farfelus (comme Organic Topless ou Moda Crise):



... cohabitant avec les mastodontes Zara ou TopShop, ou encore avec des marques nationales telles que Koton :



Ces petites boutiques sont le théâtre d'amours a priori impossibles pour nos esprits d'"occidentaux" libéralisés, à savoir l'union entre des produits très échancrés faits de sequins, clous et franges, et de leurs responsables de magasins en vêtements traditionnels, qui vous accueillent d'un timide "Merhaba" sur fond de playlist hard'n'be comment s'ils ne comprenaient rien aux "explicit lyrics".

De la confection à la création pure

Dans les rues, si (peu) de voiles il y a, ces derniers se font coquets. Habitée par une population très jeune (72 millions d’habitants dont 50 % ont moins de 25 ans), la Turquie et plus particulièrement Istanbul vit dans son coin une petite révolution de style et se rit bien de nos préjugés.
Avec une Fashion Week balbutiante voire un peu claudiquante, organisée par la MTD - association des designers turques - Istanbul commence enfin à s'affirmer en tant que capitale de création, en réponse à plusieurs décennies de confection au service des plus grandes marques-enseignes européennes.
Face à l'écrasant Made in China, le Made in Turkey revendique ses lettre de noblesse en affirmant son talent pour la maille et le chaîne et trame (dixit Lea Kahmi, spécialiste du secteur Textile chez Ubifrance Istanbul), en dépit des récents scandales sur les conditions de travail des ouvriers sableurs de jeans diffusés dans Zone Interdite. Promenez-vous dans le marché couvert de la rue Istiklal, et vous ne manquerez pas d'y croiser votre t-shirt H&M, votre robe TopShop ou votre petit top Comptoir des Cot', achetés le mois dernier aux Halles ou sur Oxford Street, et vendu ici à un prix de surplus (de 5 à 15 TL soit 2,5 à 7,5 euros):



Parfois maladroitement mais avec sincèrité et passion, quelques designers turcs commencent à développer une clientèle locale avec en filigrane l'espoir d'une reconnaissance internationale, comme celle de leur grande soeur Dice Kayek, marque de la créatrice turque Ece Ege aujourd'hui installée à Paris :



La majorité de ces jeunes designers ouvrent leur première boutique dans le quartier bobo de Galata, ou les quartiers chic d'Osmanbey ou Levent, cotoyant des enseignes de robes de mariées et de soir autoproclamées "Haute Couture". Quand certains travaillent surtout le cuir, comme Simay Bülbül, d'autres hésitent entre sérigraphies arty et robes de proms (vendues principalement aux riches filles d'expatriés pour leur bal de fin d'année au lycée allemand ou français de Galatasaray), comme la styliste Bahar Korcan.

Dans l'ensemble, on peut subjectivement ressentir - au sein d'une même marque, ici en exemple Bahar Korcan - une offre hésitante, tanguant entre des classiques d'inspiration orientale plus ou moins revisitée sous l'angle bling (ultra-long vaporeux et satiné à jeux d'incrustations de pierres et color-block ):



...et la tentative d'une création plus épurée et constructiviste, à vocation dite plus "internationale" (tribute to Franc' Pairon):



L'assortiment de ces collections paraît donc manquer encore de cohérence et de parti-pris, tâtonnant sur le terrain les réactions d'une clientèle férue de Diesel et de Guess.

A quelques numéros de là, des concept stores commencent à éclore comme Mavra Design/Café/Workshop ou Building Food Lab & Apparel proposant restauration bio et sélection de vêtements et accessoires de jeunes designers turques dans une ambiance arty ponctuée de vernissages nocturnes :



Enfin, dans la continuité des traditionelles activités d'ateliers de confection à la pièce et à moindre coût (très forts en copie), Istanbul a vu naître le premier atelier-showroom de création sur-mesure à prix accessible dénommé "Antijen" :



Fondé par une styliste-modéliste, la marque propose un assortiment de pièces fortes en chaîne et trame (robes, manteaux...) customisables parmi un choix de tissus préselectionnés, et créées sur-mesure pour chaque cliente (pour qui l'on archive précieusement chaque patron afin de servir aux futures commandes) créant ainsi le premier service turc à cheval entre la "haute couture" et le prêt-à-porter :




A noter, la majorité de ces jeunes designers en mal de médiatisation peine encore à créer leur site internet vitrine, et ainsi à guider la presse internationale à découvrir leur travail à l'occasion de la fashion week turque.
Au delà de cette frange pointue et difficilement accessible pour une clientèle locale (le prix d'une belle pièce se situant au même niveau que le smic national à savoir environ 400 euros), on trouve la "vraie" mode turque, celle de la rue, de Mango au vintage en passant par la contrefaçon.

Sans contrefaçons...

Et parlons-en, justement. Si la lutte contre la contrefaçon est le cheval de bataille de Lea Kahmi (Ubifrance), c'est qu'elle est présente à chaque coin de rue et sans complexe au bras de fashionistas stambouliottes. Véritable économie à part entière, Istanbul compte sa vraie et sa fausse contrefaçon. Je m'explique : Près des marchés bazar d'Istiklal, de grossières copies (voire pures créations de sacs inexistants !) arborent fausse toile enduite, empiècements en similicuir et garnitures de métal gravé de sigles bourrés de fautes d'orthographe comme "Lovis Vuittan - Inventeur", dont la clientèle non francophone semble ne pas trop se soucier. Vendus entre 10 et 30 euros à la tête du client, ces sacs font face à une armada de maroquiniers très au fait de chaque détail. Non loin de Sainte-Sophie, de la Mosquée bleue et de son marché couvert, des boutiques qui ont pignon sur rue proposent un assortiment incroyable de très "bonnes copies" de sacs de grandes maisons françaises et italiennes. Presque tout, de la fermeture-éclair à la doublure, fait illusion. "Allez chez Vuitton sur les Champs-Elysées avec mon sac, et je vous mets au défi de trouver un vendeur qui saura différencier le mien des leurs", dixit le responsable d'une boutique du quartier de Sultanahmet. A une nuance près, celle du numéro de série... Véritable fierté pour une poignée de ces maroquiniers, qui se revendiquent de développer l'économie du pays en créant des produits de qualité via une main d'oeuvre locale : "ici je vends mes sacs minimum 200euros, car ce n'est rien pour vous. Quand un client étranger essaye de marchander, je préfère ne pas faire de vente plutôt que dévaluer mon produit. Car nous vendons avant tout de très beaux sacs", avant d'ajouter : "si vous parlez le Français, l'Anglais et l'Espagnol, j'ai du boulot pour vous". Tout est dit.

Un streetstyle teinté de Girl Power

Fourmillant au milieu de ce décor contrasté, la jeunesse stambouliotte expose fièrement sa créativité vintage. Les jeunes filles coquettes accompagnées de leurs petits dandys aiment s'amuser à se créer des looks tendance à moindre prix en favorisant les basics proclamés tels que le slim porté pieds en dedans et les grosses Ray-Ban à l'instar de nos rues parisiennes, à la différence près que les stocks "outlet" de chaque boutique (faisant souvent l'objet d'un étage dédié), sont disponibles en permanence en plus des périodes de soldes classiques reconnaissables à leur bannières "Indirim".



Lycéennes détournant l'uniforme à base de collants flashy et de baskets, clubbeuses en sequins et serre-tête à plumes, rockers en jeans et bottines vintage habillent les rues d'Istanbul de 17h à minuit, transformant la ville des laborieux costumes gris en catwalk pop avec force et conviction... Car Dieu sait qu'il est difficile de fouler ces rues pavées et vallonées, "faites pour les hommes" (dixit les femmes turques que j'ai rencontrées) perchées sur des stilletos ! Et en parlant de stilletos, clin d'oeil au coup de grâce d'un après-midi lèche-vitrines : la trouvaille d'une paire de Louboutin vintage, vendus 25 euros par un gérant inconscient (bon d'accord, la gauche est en cuir marine et la droite en cuir noir, mais de nuit qui fait la différence !?) :



Au cours de mon mini streetstyle, au delà des tenues croisées à droite et à gauche sur des lycéennes ou stylistes à double nationalité(sachant que beaucoup de timides ont refusé de se faire photographier par peur d'être vues par papa sur internet), un point commun et pas des moindres continue à imprimer ma rétine depuis mon retour à Paris : leurs regards, mi-défiants mi-complices, portant tête haute le message bienveillant et tranquille du "regardez-moi".










Remerciements

Amandine Boiteux et Léa Kamhi, Mission économique Ubifrance - Bureau d'Istanbul : www.ubifrance.fr
Marie-France Giles,une française à Istanbul : www.dumielauxepices.net
Association des designers de Mode en Turquie : www.mtd.org.tr
E.Ozden Demir : www.karpuz.moonfruit.com
Simay Bülbül : www.sim-ay.com
Ozlem Suer : www.ozlemsuer.com
Mavra Design/Café/Workshop : info@mavragalata.com
Koton : www.koton.com.tr
Moda Turkiye : www.modaturkiye.com

Merci à la fumée d'Eyjafjöll, le volcan islandais qui m'a permis de prolonger mon séjour...