Jeudi 24 juin, rue d'Alésia, 14 ème arrondissement de Paris. Sous un soleil suintant, la future-ex rue des stocks sonne à nouveau le glas de La Crise, Jack l'éventreur de la création.
En guise de merchandising, des affiches sang cachetées "liquidation totale" aux allures de drapeaux de manif, abritent une ruche de clientes farfouillant dans des bacs -70%.
En cause ? Le refus - malgré des problèmes financiers de longue date - d'ouvrir le capital de la société, laquelle s'était pourtant préparée à une perte de 9 millions d’euros (soit presque la moitié de leur CA 2009), dont 6 millions imputables au plan social de 2010 (soit le licenciement de 2/3 du personnel) mais espérait générer suffisamment de bénéfices en 2010 pour survivre.
Conséquences ? Le licenciement de la totalité du personnel de vente, l'arrêt de la production au profit d'un système de licences, la fermeture totale du parc de distribution en propre et la mort d'une institution de la mode française.
Comment en est-on arrivé là ?
Flash-back...
60' & 70' : Happy days et flower power
1959 : Monsieur Jean Bousquet créé la marque Cacharel à Nîmes, puis s'installe à Paris en 62.
Un an plus tard, dans une chambre de bonne du Marais, il détourne le crêpon lingerie pour en faire un chemisier. Noué sous la poitrine de BB, il s'allie à la jupe-culotte, au pull shetland et à la robe chasuble.
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Décennie 70, la marque adopte la stratégie qui deviendra son ADN : le Liberty pour la mode, et L'Oréal pour le parfum (depuis Anaïs Anaïs en 78, le Parfum devient le garant de la prospérité de la marque). En pleine révolution sexuelle&peace&love, l'esprit bucolique de Cacharel marquera toute une génération de jeunes filles en fleurs. Petite révolution qui ne tardera pas à faire la couverture de Elle en 66, puis à inspirer Sarah Moon et Robert Delpire en signature visuelle.
Le bébé, l'enfant et l'homme entrent dans la famille Cacharel, dont les collections sont conçues dans l'usine de Nîmes, terre originelle.
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80 & 90' : "Ma petite entreprise..." (vous connaissez la suite)
Décennies 80 et 90, Jean Bousquet entre en politique, laissant la marque se reposer sur ses acquis et s'éloigner insidieusement de son identité créative. La fin du siècle sonnant l'arrêt de ses mandats, il retourne au moulin pour tenter de rassoir son entreprise... Peut-être un peu trop tard ?
Le bug de l'an 2000
Le nouveau millénaire passera le balais chorégraphique des chaises-musicales à la sauce D.A : succédant à Emmanuelle Kahn et Corinne Sarrut, l'an 2000 voit arriver le duo Suzanne Clements et Inacio Ribeiro, puis Estrella Archs en 2007, précédant le pas à Wakako Kishimoto et Mark Eley, et enfin Cédric Charlier.
Décennie-ending, l'ouverture d'un nouveau flagship rue du Faubourg Saint-Honoré avec l'architecte Jean-Michel Wilmotte s'achèvera sur une fermeture en speed-dating.
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"Close to me" ?
Tout en divisant le réseau de distribution par 5, la marque se raccroche à ce qui a fait sa gloire et "fête" en 2009 son cinquantenaire avec une collection Liberty en série limitée hyper-buzzée qui a enfanté le baby-boom bucolique 2010 que l'on connaît.
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Malgré le lancement de Scarlett (sur, au passage, un joli spot de Mademoiselle Noï) allié à une tentative de cohésion Mode/Parfum (via l'édition d'un consumer-mag distribué en parfumerie et la création d'un site internet inspiré de Miss Dior Chérie version corail), ce repositionnement - même s'il a remporté l'adhésion de modasses en quête de séries limitées - n'aura pas réussi à sauver la marque sur le plan des tableaux Excel.
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Le 24 juillet 2010, suite à plusieurs années d'agonie, Cacharel procèdera à la fermeture de l'ensemble de son réseau de boutiques en propre, aux allures avancées de peau de chagrin. La branche mode de la marque (production et distribution) fonctionnera désormais sur le système de licences et de e-commerce, laissant L'Oréal suivre le sillage de son épopée mode tel un parfum de nostalgie.
Officiellement, cette stratégie viserait à la stabilisation financière de l'entreprise dans l'espoir de rouvrir un réseau de boutiques en propre dans les prochaines années. Officieusement, on peut affirmer que le personnel "futur chômeur" n'a plus envie d'y croire. On pourrait même dire qu'il a les dents qui grincent face à une stratégie en passe de s'aligner sur du pierrecardinisme.
Confession d'essayage
Petit tour dans les cabines d'essayages de Cacharel stock, le bon plan bien gardé des coquettes adeptes de rétro issues des quartiers bobo de la rive gauche. J'ai pu y prendre quelques photos, invitée par une équipe de vente émue à m'y dépêcher discrètement, car soucieuse de l'arrivée imminente du "grand patron".
Ici, on pouvait trouver l'ensemble des collections Cacharel pour l'Homme, la Femme et l'Enfant à des prix de destockage, ainsi que les prototypes de la collection en cours à -50% qui, je l'avoue, avaient eu le temps de se faire des copines au sein de mon dressing personnel.
Quand on les interroge sur leur consommation, les clientes s'avèrent un peu floues. Difficile de savoir si elles achètent chez Cacharel stock par amour pour la marque ou par restriction budgétaire. La vérité se trouve probablement entre les deux, l'équation star demeurant : "j'habite le quartier" + "j'aime bien le style rétro" + "Pour 100 euros je préfère acheter une grande marque déstockée qu'un vêtement neuf du sentier".
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"Neuf" ? En voilà un adjectif déroutant ! Comme si elles considéraient les produits comme de la fripe de dépôt-vente.
Le problème est donc là : Cacharel vivait sur l'étiquette du passé, étant plus achetée pour son caractère vintage que pour son crédit sur le territoire de la mode actuelle, en dépit de la reconnaissance de certaines pour le charme un peu désuet de la marque (comme cette prof de fac affirmant que "pour avoir l'idée d'entrer ici, il faut aimer le rétro").
Problème de style ? Problème de cible... Une clientèle originelle qui a vielli et se sent "singée" en chemise à fleurettes. Une cible junior qui préfère se "signer" d'un style rock - soit ex-fan-des-sixties-petites-baby-dolls traumatisées de la broderie anglaise trop "coinços", soit jeune hot-lita préfèrant ressembler à une pub Comptoir des Cot' qu'à une icône d'Hamilton.
Trop jeune et "serré" pour les femmes matûres, trop "môman" pour les juju, le style peine à trouver son public.
Et selon une vendeuse maison de longue date, le positionnement prix y est pour beaucoup : "il est mignon ce petit gilet jaune, mais franchement, qui a envie de payer 200 euros pour du made in China ?", annonce-t-elle blessée et pas tendre, comme une cousine deshéritée de ses blasons crâquelés. Une preuve que le patrimoine de marque, si on ne l'entretient pas - ou trop tard - ne suffit plus à une clientèle hyper-éduquée dont le regard-code barre ne laisse échapper aucun détail.
Même si la plupart des clientes ressortiront avec un sac plein de belles robes bradées, elles déploreront surtout la fermeture de leur fournisseur de bons plans look plus que d'une marque de mode en tant que telle...
... à l'exception de ce client qui, du haut de ses 1m90 de virilité, s'avoue triste de constater qu'il n'aura plus d'alternative intermédiaire entre Kenzo et Delaveine pour trouver ses costumes.
Mon petit reportage s'achève sur un passage en caisse au goût amer : des poches en plastique ont majoritairement remplacé les sacs en carton et anses gros-grain, et le livre d'or a déserté la console. On tape du chiffre comme une course au "tout doit disparaître", les yeux légèrement dans le vague et pour certaines vers l'horizon d'un chômage imminent.
Un sentiment de gâchis général pour une marque qui n'aura pas eu le temps de vivre en réel la théorie de ses reco marketing.
http://www.cacharel.fr/
Via facebook : "M.B. : Géniale ta plume Manue, ou clavier?... Enfin bref, c'est un bonheur de te lire ! xxx"
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