Istanbul / Des visages, des figures



Bienvenue sur ce blog, né d'une épopée Mode à Istanbul.

Huuuuuu(UE) !

La seule ville au monde à cheval sur deux continents - l'Europe et l'Asie - ne fait pas débat qu'au sujet de son entrée potentielle au sein de l'Union Européenne.
Au carrefour des cultures et des styles, celle qu'on pourrait appeler l'"autre capitale" de la Turquie ne peut nier son goût prononcé (et sa soumission librement consentie ?) pour les contrastes.
En effet, au détour du très popu quartier de Taksim ou du très chic district d'Osmanbey, il n'est pas rare de croiser des enseignes aux noms farfelus (comme Organic Topless ou Moda Crise):



... cohabitant avec les mastodontes Zara ou TopShop, ou encore avec des marques nationales telles que Koton :



Ces petites boutiques sont le théâtre d'amours a priori impossibles pour nos esprits d'"occidentaux" libéralisés, à savoir l'union entre des produits très échancrés faits de sequins, clous et franges, et de leurs responsables de magasins en vêtements traditionnels, qui vous accueillent d'un timide "Merhaba" sur fond de playlist hard'n'be comment s'ils ne comprenaient rien aux "explicit lyrics".

De la confection à la création pure

Dans les rues, si (peu) de voiles il y a, ces derniers se font coquets. Habitée par une population très jeune (72 millions d’habitants dont 50 % ont moins de 25 ans), la Turquie et plus particulièrement Istanbul vit dans son coin une petite révolution de style et se rit bien de nos préjugés.
Avec une Fashion Week balbutiante voire un peu claudiquante, organisée par la MTD - association des designers turques - Istanbul commence enfin à s'affirmer en tant que capitale de création, en réponse à plusieurs décennies de confection au service des plus grandes marques-enseignes européennes.
Face à l'écrasant Made in China, le Made in Turkey revendique ses lettre de noblesse en affirmant son talent pour la maille et le chaîne et trame (dixit Lea Kahmi, spécialiste du secteur Textile chez Ubifrance Istanbul), en dépit des récents scandales sur les conditions de travail des ouvriers sableurs de jeans diffusés dans Zone Interdite. Promenez-vous dans le marché couvert de la rue Istiklal, et vous ne manquerez pas d'y croiser votre t-shirt H&M, votre robe TopShop ou votre petit top Comptoir des Cot', achetés le mois dernier aux Halles ou sur Oxford Street, et vendu ici à un prix de surplus (de 5 à 15 TL soit 2,5 à 7,5 euros):



Parfois maladroitement mais avec sincèrité et passion, quelques designers turcs commencent à développer une clientèle locale avec en filigrane l'espoir d'une reconnaissance internationale, comme celle de leur grande soeur Dice Kayek, marque de la créatrice turque Ece Ege aujourd'hui installée à Paris :



La majorité de ces jeunes designers ouvrent leur première boutique dans le quartier bobo de Galata, ou les quartiers chic d'Osmanbey ou Levent, cotoyant des enseignes de robes de mariées et de soir autoproclamées "Haute Couture". Quand certains travaillent surtout le cuir, comme Simay Bülbül, d'autres hésitent entre sérigraphies arty et robes de proms (vendues principalement aux riches filles d'expatriés pour leur bal de fin d'année au lycée allemand ou français de Galatasaray), comme la styliste Bahar Korcan.

Dans l'ensemble, on peut subjectivement ressentir - au sein d'une même marque, ici en exemple Bahar Korcan - une offre hésitante, tanguant entre des classiques d'inspiration orientale plus ou moins revisitée sous l'angle bling (ultra-long vaporeux et satiné à jeux d'incrustations de pierres et color-block ):



...et la tentative d'une création plus épurée et constructiviste, à vocation dite plus "internationale" (tribute to Franc' Pairon):



L'assortiment de ces collections paraît donc manquer encore de cohérence et de parti-pris, tâtonnant sur le terrain les réactions d'une clientèle férue de Diesel et de Guess.

A quelques numéros de là, des concept stores commencent à éclore comme Mavra Design/Café/Workshop ou Building Food Lab & Apparel proposant restauration bio et sélection de vêtements et accessoires de jeunes designers turques dans une ambiance arty ponctuée de vernissages nocturnes :



Enfin, dans la continuité des traditionelles activités d'ateliers de confection à la pièce et à moindre coût (très forts en copie), Istanbul a vu naître le premier atelier-showroom de création sur-mesure à prix accessible dénommé "Antijen" :



Fondé par une styliste-modéliste, la marque propose un assortiment de pièces fortes en chaîne et trame (robes, manteaux...) customisables parmi un choix de tissus préselectionnés, et créées sur-mesure pour chaque cliente (pour qui l'on archive précieusement chaque patron afin de servir aux futures commandes) créant ainsi le premier service turc à cheval entre la "haute couture" et le prêt-à-porter :




A noter, la majorité de ces jeunes designers en mal de médiatisation peine encore à créer leur site internet vitrine, et ainsi à guider la presse internationale à découvrir leur travail à l'occasion de la fashion week turque.
Au delà de cette frange pointue et difficilement accessible pour une clientèle locale (le prix d'une belle pièce se situant au même niveau que le smic national à savoir environ 400 euros), on trouve la "vraie" mode turque, celle de la rue, de Mango au vintage en passant par la contrefaçon.

Sans contrefaçons...

Et parlons-en, justement. Si la lutte contre la contrefaçon est le cheval de bataille de Lea Kahmi (Ubifrance), c'est qu'elle est présente à chaque coin de rue et sans complexe au bras de fashionistas stambouliottes. Véritable économie à part entière, Istanbul compte sa vraie et sa fausse contrefaçon. Je m'explique : Près des marchés bazar d'Istiklal, de grossières copies (voire pures créations de sacs inexistants !) arborent fausse toile enduite, empiècements en similicuir et garnitures de métal gravé de sigles bourrés de fautes d'orthographe comme "Lovis Vuittan - Inventeur", dont la clientèle non francophone semble ne pas trop se soucier. Vendus entre 10 et 30 euros à la tête du client, ces sacs font face à une armada de maroquiniers très au fait de chaque détail. Non loin de Sainte-Sophie, de la Mosquée bleue et de son marché couvert, des boutiques qui ont pignon sur rue proposent un assortiment incroyable de très "bonnes copies" de sacs de grandes maisons françaises et italiennes. Presque tout, de la fermeture-éclair à la doublure, fait illusion. "Allez chez Vuitton sur les Champs-Elysées avec mon sac, et je vous mets au défi de trouver un vendeur qui saura différencier le mien des leurs", dixit le responsable d'une boutique du quartier de Sultanahmet. A une nuance près, celle du numéro de série... Véritable fierté pour une poignée de ces maroquiniers, qui se revendiquent de développer l'économie du pays en créant des produits de qualité via une main d'oeuvre locale : "ici je vends mes sacs minimum 200euros, car ce n'est rien pour vous. Quand un client étranger essaye de marchander, je préfère ne pas faire de vente plutôt que dévaluer mon produit. Car nous vendons avant tout de très beaux sacs", avant d'ajouter : "si vous parlez le Français, l'Anglais et l'Espagnol, j'ai du boulot pour vous". Tout est dit.

Un streetstyle teinté de Girl Power

Fourmillant au milieu de ce décor contrasté, la jeunesse stambouliotte expose fièrement sa créativité vintage. Les jeunes filles coquettes accompagnées de leurs petits dandys aiment s'amuser à se créer des looks tendance à moindre prix en favorisant les basics proclamés tels que le slim porté pieds en dedans et les grosses Ray-Ban à l'instar de nos rues parisiennes, à la différence près que les stocks "outlet" de chaque boutique (faisant souvent l'objet d'un étage dédié), sont disponibles en permanence en plus des périodes de soldes classiques reconnaissables à leur bannières "Indirim".



Lycéennes détournant l'uniforme à base de collants flashy et de baskets, clubbeuses en sequins et serre-tête à plumes, rockers en jeans et bottines vintage habillent les rues d'Istanbul de 17h à minuit, transformant la ville des laborieux costumes gris en catwalk pop avec force et conviction... Car Dieu sait qu'il est difficile de fouler ces rues pavées et vallonées, "faites pour les hommes" (dixit les femmes turques que j'ai rencontrées) perchées sur des stilletos ! Et en parlant de stilletos, clin d'oeil au coup de grâce d'un après-midi lèche-vitrines : la trouvaille d'une paire de Louboutin vintage, vendus 25 euros par un gérant inconscient (bon d'accord, la gauche est en cuir marine et la droite en cuir noir, mais de nuit qui fait la différence !?) :



Au cours de mon mini streetstyle, au delà des tenues croisées à droite et à gauche sur des lycéennes ou stylistes à double nationalité(sachant que beaucoup de timides ont refusé de se faire photographier par peur d'être vues par papa sur internet), un point commun et pas des moindres continue à imprimer ma rétine depuis mon retour à Paris : leurs regards, mi-défiants mi-complices, portant tête haute le message bienveillant et tranquille du "regardez-moi".










Remerciements

Amandine Boiteux et Léa Kamhi, Mission économique Ubifrance - Bureau d'Istanbul : www.ubifrance.fr
Marie-France Giles,une française à Istanbul : www.dumielauxepices.net
Association des designers de Mode en Turquie : www.mtd.org.tr
E.Ozden Demir : www.karpuz.moonfruit.com
Simay Bülbül : www.sim-ay.com
Ozlem Suer : www.ozlemsuer.com
Mavra Design/Café/Workshop : info@mavragalata.com
Koton : www.koton.com.tr
Moda Turkiye : www.modaturkiye.com

Merci à la fumée d'Eyjafjöll, le volcan islandais qui m'a permis de prolonger mon séjour...

1 commentaire:

  1. @Facebook sur la page de l'IFM :
    Gunes Uysalefe : "love the analysis of the turkish fashion scene, as a local i might say the article is a work of an impressive observation.
    FYI: Istanbul is not the capital of Turkey but hope one day it will be one of the fashion capitals in the world. "

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