Paris / Vogue Fashion Celebration Night

"Une expérience shopping unique, un accueil et des services inédits, des mises en scène et animations exceptionnelles"... telle était la promesse de Vogue... Alors évidemment, on était "attending".

Vers 19h, non loin du panneau annonçant l'événement...

...le modeux squatte les stations de métro du quartier de la rue Montaigne dans le 8ème arrondissement...

... et les médias filment les vitrines des maisons participantes...


Des boutiques vidées de leurs collections par un bataillon de visual merchandisers quelques heures avant le coup de feu, des marques déjà en rupture de stock que (fuites!) ça arrangeait bien... Et pour cause : un raz-de-marée de badauds et de pique-assiette surlookés, venus pour voire du people ou pour être pris en photo par un style-hunter, et bien plus intéressés par le champagne que par l'"expérience d'achat" (concept très en Vogue dans le luxe) ou par la "stylistique".

Certes, il y avait des clowns devant Manoush...

...du jazz devant ST Dupont...

... un photomaton chez Vuitton...


(rapidement impraticable à l'arrivée de Carine Roitfeld, qui toute sourire, a mené un impressionnant marathon...)




... Ou encore des lunettes pour un défilé 3D chez Dior, le tout sur fond de pop et d'électro...


Mais malheureusement (et en dépit des opérations déployées par les maisons participantes), il semblerait que le plus gros buzz de la soirée n'était pas dû aux "looks forts et silhouettes phares" (la majorité des visiteurs feuilletant plus la pâte des petits fours que les portants de boutiques) mais plutôt à l'open-bar de Moët et autre Taittinger.

A vrai dire, pour reprendre une expression entendue au vol, on pourrait presque se demander s'il ne s'agissait pas d'un "non-événement", dans le sens ou champagne et people prenaient le pas sur mode et créativité.

Même avec toute la motivation du monde, il demeurait décourageant et donc difficile de retrouver les silhouettes sélectionnées par Vogue et shootées dans le look-book-supplément du n° de septembre. Trop de monde, trop de flûtes renversées, et des silhouettes et éditions limitées ne bénéficiant donc pas de la mise en scène qu'elles méritent.
Bon, bien sûr, il serait trop facile de porter un jugement global sur l'ensemble des maisons, tant il demeure impossible, en 5 h, de toutes les visiter (la foule se déplaçant au gré de l'itinéraire de Carine Roitfeld, la file devant certaines maisons frôlait la demi-heure d'attente...)



Vu du trottoir, ça donnait comme une sorte d'errance massive de fashionistas à la lèvre dédaigneuse, l'oeil alerte à l'appel du people, et la flûte au bec. Un portrait qui, malheureusement, colle parfaitement aux clichés que l'"on" se fait des "gens de la mode" : sur-sapés, un peu "high", opportunistes snob au look jusqu'au-boutiste qui tirent la gueule et regardent les autres de haut.





On ne le dit pas assez, mais cette strate de la population (même si elle fait partie du folklore et qu'au fond on adore ça) concerne plutôt le public de masse et le marketer lambda, tous habillés pareil et selon les préceptes look de Glamour, que les acteurs de la création souvent simples et plus discrets...
Quant au public présent, faites donc un tour sur la page Facebook de l'événement : la plupart des participants "attending" demandaient encore le jour même des invitations par e-mail, ignorant qu'un carton pour deux était disponible dans le Vogue du mois de septembre... QUOI ? Vous voulez dire que CES GENS NE LISENT PAS VOGUE ??? That's a september issue.

Reste, au milieu d'une foule uniforme, quelques "anonymes" qui ont réussi à se démarquer avec excentricité...


... avec élégance...


... avec un "X Factor"...


... Ou tout bêtement avec un regard (on hésite entre Bob l'éponge, Omer Simpson et Garfield ?)...


Outre des people croisés ça et là (Bambou, Vahina Giocante, Alain Chamfort, Cristina Cordula de Nouveau Look pour une nouvelle vie sur M6):


... ou encore Léa, le top-model brésilien et transexuel dont tout le monde parle, son yorkshire dans les bras...


... De véritables acteurs de la mode voguaient presque incognito (du public) d'une maison à une autre.

Ainsi s'ils généraient l'intérêt des médias, les modasses de passage ne les remarquaient même pas, lançant des "c'est quiiii ?" le menton levé et sur la pointe des pieds, comme par exemple pour :

Yves Carcelle, PDG de Louis Vuitton aux côtés de Karine Roitfeld chez Vuitton...


... Sidney Toledano, PDG de Dior Couture, chez Dior


... Suzy Menkes, vénérable journaliste mode du Herald Tribune, Chez Vuitton


... Didier Grumbach, Président de la Fédération Française de la Couture et de la Chambre syndicale de la Haute Couture, chez Nina Ricci


... Et enfin, le plus simplement sapé de toute la soirée, le créateur Riccardo Tisci de et chez Givenchy...



Une autre question se pose : Si, dans une vidéo bilan de la 1ère édition de l'événement (en 2009), Xavier Romatet (Président de Condé Nast France) déclarait "sur le plan du chiffre d'affaires, il y a beaucoup de gens qui ont acheté" :

... Ce qui semblait etre destiné à une "célébration" du style, ou a un shopping personnalisé, nous laisse dubitatif sur le chiffre d'affaires généré.

Même si quelques clientes se sont attablées aux accessoires Vuitton :

... c'est à se demander si les ventes n'ont pas été effectuées dans des salons backstage à l'abri de la foule. Car quoiqu'il en soit, il paraît tout de même difficile d'imaginer qu'une clientèle habituée au luxe ait réellement envie d'acheter des produits de ce niveau de gamme au milieu d'une foule de pique-assiette et de flûtes de champagne cassées... (on salue au passage le professionnalisme exemplaire des équipes de vente et de service des maisons visitées), le luxe étant tout de même, entre autres, de pouvoir accéder à ces produits dans un espace intime au service personnalisé.

Evidemment, reste toujours les achats d'impulsion effectués sous l'effet de la fête et du champagne, qu'on imagine plus concerner des produits d'appel ou d'entrée de gamme type petite maroquinerie, it-bag, accessoires ou série limitée. mais que représente réellement ce chiffre d'affaires pour les marques par rapport l'investissement demandé ?

On pourrait en déduire que, pour cette seconde édition de la Vogue Fashion Celebration Night, la participation des marques demeure une sorte de passage obligé dans le Who's who du buzz, un événement dont on doit "en être", et surtout une opportunité pour la marque Vogue d'asseoir son pouvoir de prescription de mode à l'échelle internationale. Et en définitive, si l'on part de cet objectif, il faut reçonnaître que d'un poin de vue fréquentation, buzz médiatique et événement festif, l'édition parisienne est une réussite.

Vers 22h30, à l'heure où les concierges et habitants du quartier commencent à se réapproprier les rues...


Nos modasses douloureusement perchées sur leurs stilettos, exténuées par le champagne gratuit, assourdies par les platines et frustrées par leur carte bancaire, n'ont que deux options : tenter de rentrer chez eux malgré la grève des transports, ou boire un petit "café mode" (payant, cette fois), sur une terrasse du triangle d'or, en se disant, après avoir "gossipé" sur "les autres", que c'était quand même une belle soirée.

Derry, Ireland / The B(l)ogside

Au pire on connaît la chanson de U2. Pour ceux à qui cela ne dirait rien, la ville de Derry (« Doire » en Gaélique, à prononcer « Dora », et à laquelle les protestants avaient ajouté le préfixe « London » en guise de provocation), fut le théâtre du Bloody Sunday de 1972. « Dimanche sanglant » pour lequel, il y a quelques mois (et 36 ans plus tard), le gouvernement britannique a reconnu l’entière responsabilité.
Si la jeunesse d’aujourd’hui ne subit que peu de séquelles de cette guerre civile - hormis quelques grafs, un 15 août à la lumière d’un bombfire et une connaissance de leur propre histoire à faire pâlir un bâchelier français – le visage de la ville, lui, arbore avec tristesse mais fierté le symbole de décennies de violence.

C’est au cœur du Bogside – signifiant littéralement « quartier poubelle » - centre historique des affrontements, que j’ai passé quelques jours en pleine période de "Feilé". Au demeurant populaire, le quartier le plus connu d’Irlande du Nord, planté d’un vaste terrain vague sur lequel avait lieu chaque 15 août le bombfire de commémoration du BS, a vu se construire, au milieu de ses petites maisons d’ouvriers aux jardinets fleuris et aux hautes fenêtres sans volets ni serrures...
une ribambelle de maisonnettes toutes neuves. Non loin de là, à quelques pas des walls (peintures murales parfaitement entretenues par la communauté depuis des décennies)...

...les quartiers résidentiels chics prennent des faux airs de Wisteria Lane recourbée, les maisons déclinant de leur gris ou de leur orangé des arêtes habillées de briques intercalées comme un jeu de marelle. Coquettes entrées aux portes rouges, menant presque toujours sur un corridor central avec de part et d’autre le salon, la salle de télévision, une immense cuisine et un étage peuplé de chambres.

On croise ça et là, le long des grandes artères, des maisons du même type parées de grillages de fer forgé ébène qui ne dépayse pas le touriste de l’esprit britannique. Au fil des ruelles très en pente du centre ville, des pubs et fish’n’chips et petites boutiques de meubles ou de bijoux colorent le regard de leurs façades flashy, souvent jaunes, bleu canard, ou noires contrastées de lettres dorées.

Si l’extérieur demeure plus ou moins moderne, beaucoup de ces échoppes sont restées authentiques, avec leur structure en bois massif, leur esprit "pêcheur", leurs miroirs, et leur écriteaux humoristiques à la « Guinness is good for you ».

En guise de blague, un barman m’a même conviée à rester dans un micro-salon de bois séparé du reste du pub et ouvert sur le bar via une petite vitre, m’expliquant qu’il y a plus d’un siècle, c’était le coin réservé aux femmes alors interdites de pub... Et conservé tel quel.

A quelques kilomètres de la mer, on sent bien l’odeur de la tourbe, sorte de « bois pourri » au parfum délicat que l’on fait brûler comme de l’encens lors des froides soirées d’hiver, au gré des visites des leprechauns. C’est à se demander si, au passage des touristes, ils ne le feraient pas exprès. Mais non. Le quotidien ressemble bien à la carte postale que l’on s’imagine. Des gens chaleureux, qui parlent fort, qui se lèvent tôt et se couchent tard. Des orchestres traditionnels jouant lors de soirées « sessions » au Drift Inn de Buncrana, des vieux groupes d’amis, tous bons chanteurs, qui s’imposent un silence religieux dès que l’un d’eux donne des cordes vocales depuis le bar du Sandino’s.

Là-bas, on travaille de 9 à 17h, on commande une pinte à 17h15, et on repaye sa tournée une fois le verre à moitié vide. On parle facilement, et au bout de dix minutes on se retrouve invité à prendre un café le lendemain, comme par David, responsable d'un "second-hand bookstore on the way to the chapel", à Letterkeney (ville voisine).

On mange bien le matin, rien le midi, puis on commande un plat chinois le soir en veillant bien, sacrilège, à mélanger les pâtes et les frites. Là-bas, un ouvrier du BTP et une femme de ménage peuvent devenir propriétaires d’une coquette maison, élever trois enfants correctement et même partir en vacances une fois par an à Eurodisney ou en Espagne.

Face à la nostalgie des anciens, l’impétuosité des jeunes. Souvent étudiants et employés en même temps, parfois même parents à 18 ans (culture de la boisson + avortement illégal), mais toujours très fêtards. Aujourd'hui, le marché de l'emploi se fait morose. Les carrières les plus accessibles étant celles du secteur social ou médical, les étudiants sont le plus souvent employés dans la restauration ou le secteur du retail, avec un salaire à temps plein avoisinant les 1000 euros par mois. Never complain, never explain. Une rumeur voudrait même que certains parents mentent sur l’âge de leurs enfants pour qu’ils puissent entrer en boîte. Souvent grands et souvent roux (même s’ils préfèrent se définir blonds), les jeunes irlandais cultivent un style bien à eux. Aussi underdressed la journée qu’overdressed le soir. « C’est l’effet uniforme », me confie Connor, étudiant en Français à Cambridge et originaire de Derry.
Tous guindés en blazer et jupe plissée - à donner des complexes à The Kooples - les jeunes n’ont qu’une seule envie fashion hors de l’école : sportswear la journée, paillettes le soir. Ainsi ces jeunes filles sages, que l’on voit arpenter les rues en jogging, baskets et queue de cheval à mèche banane pouvant rappeler celle de Suzie Menkès, deviennent méconnaissables passé 19h.

Face à une certaine uniformisation de la mode masculine (armée de clones en jean droit + polo ou chemise à carreaux),
John O'Hara, le barman du Sandino's et le plus stylé de Derry City, affirme s'être déjà fait tirer le portrait par Condé Nast

...La mode féminine donne du fil à retordre.

De tous âges et de toutes morphologies, elles appliquent presque à la lettre les pages mode du Glamour UK, à base de too-much rendant très bien by night et un peu moins bien sous la lumière du miroir des water-closet. Tout, absolument tout y est, mais en même temps. La tresse sur le côté ? Check. Les épaulettes ? Check. Le dos plongeant ? Check. La mini-moulante-à-la-Amy ? Check. Les collants en dentelle (si collants il y a) ? Check. Les spartiates à talons et plateforme ? Check. L’eye-liner ? Check. Le rouge carmin ? Check. Le vernis bleu fluo ? La décolo à la Agyness ? Check et re-check. Les irlandaises s’amusent, absolument sans complexe. Elles boivent, draguent, et les mecs n’ont qu’à faire avec. Bref, un style emprunt de liberté, souvent décrié par le chic à la française, mais dont on pourrait, me semble-t-il, prendre un peu de la graine dans nos petites robes noires en taille 36.


Il suffit de faire un petit tour au centre commercial Richmond pour comprendre. Miss Selfridges, New Look, Evans (la marque qui a collaboré avec Beth Ditto), Next, Internaçionale, Top Shop pour le plus haut de gamme et enfin, bien évidemment, Primark.

Le temple de la fast fashion alliant cheap et créativité, ça fait rêver. De la taille 6 (soit 34) à 18 (soit 50), la marque a tout compris : pléiade de mini-robes aux imprimés improbables pour 10 pounds maximum (soit environ 14 euros), kilomètres de rayons de pulls, jeans, vestes, manteaux, petits hauts du plus classique au plus extravagant, 15m2 d’accessoires, colliers, sacs et lunettes à 2 pounds pièce, armada de collants en tous genre venant pallier la quasi absence de pantalons (non, l’irlandaise préfère les jupes, désolée).

Le plus frappant, chez Primark (bas-de-gamme trash) comme chez Marks&Spencer (haut-de-gamme classy) ? La richesse des rayons lingerie, au prix très accessible, parmi lesquelles une large offre de lingerie dite «morphologique » et pas « mémé » (qui semble avoir tiré profit des leçons de relooking de « How to look good naked », la version originale de notre french « Belle Toute Nue »). Bref, une culture du dessous pour optimiser le dessus, avec même des « fitting rooms » special « bra consulting ». On l’aura compris, il y a de quoi décoincer sa fashion sans se ruiner. Primark, c’est comme un H&M en moins cher, ou un C&A en plus funky. Allez va, ton « retailer award of the year, tu ne l’as pas volé !

Mais après les UK, la Grèce, l’Espagne… A quand la France, « sacrebleu » ??

D’autres curiosités auront tout de même attiré mon attention : un sac en similicuir inspiré du Paddington et brodé Barbie...

La copie des chaussures à talons glitter de la petite Suri Cruise vue chez Accessorize...

La « nouvelle collection de bonbons » vue chez Topshop...

Ainsi que la reproduction d'un célèbre short taille haute à finition croquet de nos compatriotes The Kooples, vu chez TopShop à moitié prix...

L’horrible mode de la veste en jean sans manches et trop serrée sur robe longue à imprimé psychédélique, la déception du rayon « last chance to buy » qui n’est pas une offre promo mais juste la dernière pièce disponible et surtout, l’impossibilité de trouver un sac ou un paire de chaussures en vrai cuir, conférant au rayon accessoires des boutiques une drôle d’odeur de pétrochimie.

Ah, j’oubliais, mention spéciale à la mode « Paris » qui peuple les rayons des boutique, du collier Tour Eiffel + caniche rose au t-shirt à chaîne et noeud imprimé Champs de Mars...


... En passant par le cabas honteusement imprimé « Tu et moi, amour en Paris »…

Une vague impression de boutique de souvenir de St Michel, les fautes d’orthographe en plus.

Et c’est donc ainsi que, tout ce petit monde ultra looké se retrouve au pub à partir de 19h et la plupart du temps du jeudi au dimanche soir, pour commencer à boire.
Sous les coups de 23h30, le pub ouvre l’accès à son étage « nightclub ». On vous tamponne le dos de la main contre trois pounds, et c’est parti !

Vitalic, Lady Gaga, Gangsta Rap et parfois Daft Punk ou Justice quand un français est dans la place.

L’ambiance est bon enfant, les cocktails chimiques au curaçao coulent à flots entre deux verres de Magners ou de Smirnoff Ice. A l’approche de « 1.30 am », on annonce la fermeture imminente du bar, la moitié de la population allant commander son dernier verre pour céder au delirium tremens, un quart d’heure plus tard, sur le trottoir dans l’attente d’un taxi au prix unique de 3 pounds la course, ce qui évite les accidents de la route. Les plus courageux prendront une barquette de chips au fast-food voisin...

Voire une pizza gratuite un soir de défaite de l’équipe de bleus… cf un Thierry Henri sous la guillotine pour une main qui n'est décidément, pas passé...

vs un amour inconditionnel pour Cantona (Looking for Eric!)...

...Puis ils rentreront sains et saufs avec leurs 17 ans et toutes leurs dents, loin de penser à leur futur 25ème anniversaire âge généralisé de « la fin des conneries ».
Le lendemain matin, lors de la messe à St Columba - la deuxième plus ancienne église catholique d’Irlande du Nord - on pourra croiser la petite Orlaith aux yeux cernés, habillée comme une Girls Aloud, faire sagement la queue vers la communion aux côtés d’une mère pieuse et silencieuse, au sourire mi-complice mi-réprobateur pour le principe. Oh, oh, oh ooooh, I wish I was back home in Derry.